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Pas d’épée pour saint Michel

AVT_Jacques-Perret_7512.jpegLe titre de ce blog est largement inspiré du premier texte écrit par Jacques Perret dans la revue Itinéraires, fondée et dirigée par Jean Madiran, pour le numéro 2 d’avril 1956.

 

Jusqu’ici, la force était une vertu. Elle fut longtemps à l’honneur dans la statuaire antique et sur le marbre des cheminées bourgeoises où elle faisait pendant à la Science, à la Justice et, plus récemment, au Droit. Elle n’avait pas toujours une petite tête et un front bas, mais on la sentait toujours prête à offrir son glaive ou sa massue pour la défense des valeurs morales et, si besoin était, des vérités premières. Elle faisait même figure de vertu numéro un. Peu à peu le clan des cuistres malingres et des orgueilleux hydrocéphales réussit à jeter sur elle un discrédit dont il espérait bénéfice. Elle devint une vertu secondaire, puis expédient provisoire et auxiliaire inavouable.

Aujourd’hui la force est carrément exclue du cortège des vertus. Elle est condamnée, absolument. Quiconque en fait usage ou en prescrit l’usage, non seulement se voit honni par la conscience universelle mais sera flétri par le tribunal de l’histoire. Ce double châtiment donne à réfléchir. Rien de bon, rien de juste ne peut désormais rien devoir à l’usage de la force. Tel est, en particulier, le point de vue des bien-pensants d’une démocratie qui doit son salut et son triomphe à un million de tonnes de trinitrotoluène, au bas mot.

L’énormité de la tartufferie est décourageante. On paie un tueur et, sa besogne étant faite, on le traîne en justice. Les mêmes qui, en 39, criaient aux armes et vomissaient les temporisateurs se font, aujourd’hui, anges de la paix-à-tout-prix, zélateurs de capitulation et voyageurs de Sidi bel Munik. Démocratie d’abord. La France africaine portant défi à la démocratie on s’empresse de faire condamner la force par tous les docteurs de vertu politique. Tout se passe comme si la force était l’ignoble et exclusif attribut de la réaction et comme si la démocratie ne pouvait triompher que dans la débandade française. Mais il n’est pas exclu qu’une vulgaire lâcheté se dissimule sous le masque doctrinaire.

Les Portugais, assez stupides pour jouer encore les conquistadores bénisseurs, se cramponnent à Goa. Ils défendent là-bas une espèce de vérité folklorique à laquelle ils ont la naïveté de croire. La civilisation chrétienne et l’ordre classique paraît leur tenir au cœur comme une juste cause, ni désuète ni caduque. Il n’y a pas d’enclave insensée pour une vérité qui vous est chère. Ils ont résolu d’y combattre pour leur foi, attitude médiévale devenue suspecte aux yeux même des gens d’Église de plus en plus travaillés par un complexe d’anachronisme. Et pourtant l’éternité est anachronique.

Les couards, traîtres, fanatiques ou hurluberlus qui s’attendrissent aux aspirations démocratiques de l’Islam et s’ingénient à restaurer dans le fil de l’Histoire les antiques libertés de la civilisation barbaresque ont accueilli tout naturellement dans leur complot ces chrétiens de l’espèce dialectique ou yogui, toujours honteux de Charles Martel et rougissant des croisades. Les clercs obsédés par la rengaine du sabre et du goupillon ne veulent plus savoir tout ce que la Chrétienté doit au merveilleux concours de la violence et de l’amour. Ils paraissent oublier que la Bible et l’Évangile nous proposent un arsenal de glaives qui ne sont pas toujours métaphoriques et cent témoignages de la colère divine. Certains commencent à insinuer que les marchands ne furent pas chassés du temple à coups de poing mais éloignés par la grâce d’un gentleman-agrément, de même que saint Michel n’a pas terrassé le dragon d’un coup de lance mais négocié avec lui. Le chrétien de gauche, déjà signalé dans les premières hérésies, se présente aujourd’hui comme un affreux mélange de Tolstoï, de Gandhi, de Garry Davis et de pope stakhanoviste. Il a fait de la Providence un commis-voyageur de la fatalité historique en attendant que le diable soit enfin reconnu pour interlocuteur valable.

 

Jacques PERRET

 

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